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Auguste Bartholdi à Bordeaux

Auguste Bartholdi à Bordeaux

New York, Belfort, Lyon… Le nom du sculpteur Auguste Bartholdi (1834-1904) reste attaché aux villes qui accueillent ses œuvres monumentales, parmi les plus marquantes de la statuaire de son temps. Nous fêterons en octobre prochain les 130 ans de l’inauguration de son œuvre phare, La Liberté éclairant le monde, plus connue sous le nom de Statue de la Liberté. À cette occasion, revenons sur des épisodes peu connus de la carrière de l’artiste : les projets qu’il a exécuté pour Bordeaux dans la seconde moitié du XIXe siècle, dont l’un deux, la fontaine de la place des Quinconces, ne vit jamais le jour.

Auguste Bartholdi naît dans une famille de notables protestants de Colmar. Son père disparaît prématurément en 1836, laissant une femme et deux enfants : Jean-Charles, l’aîné, et Frédéric-Auguste. La famille s’établit quelques années plus tard à Paris, où les frères Bartholdi fréquentent l’atelier du peintre romantique Ary Scheffer. Mais c’est dans le domaine de la statuaire monumentale, voire colossale, qu’Auguste accomplira une carrière exceptionnelle, ponctuée d’impressionnants records : d’une hauteur de 11 m, le Lion de Belfort est la plus grande statue de pierre en France.

Le concours de la place des Quinconces

Sa première commande est inaugurée à Colmar en 1856. Il s’agit d’une effigie en bronze du général Rapp, qui contribue grandement à le faire connaître. Suffisamment en tout cas pour participer à de nombreux concours en vue de la réalisation de monuments publics. Quelques-unes de ces tentatives se solderont par une amère déception, en particulier le concours de la place des Quinconces à Bordeaux.

Tout commence en 1855. La municipalité souhaite doter la place des Quinconces, vaste esplanade aménagée sur les vestiges du château Trompette, d’une fontaine monumentale vaguement allégorique — pourvu que la Garonne y figure. Deux ans plus tard est organisé un concours dont Bartholdi, alors âgé de vingt-trois ans, remporte le premier prix. Comme le montrent sa maquette en plâtre ainsi que quelques gravures, la fontaine victorieuse est surmontée d’un Neptune, entouré de naïades personnifiant les trois principales rivières de la Gironde. Plus bas, à fleur d’eau, quatre tritons à cheval sonnent de la conque.

Mais la commande ferme et définitive de la Fontaine de Neptune tarde à venir. Pendant trente ans. En effet, le maire de Bordeaux ne sollicite de nouveau l’artiste qu’en 1887, alors que ce dernier a acquis une renommée mondiale en tant qu’auteur de La Liberté éclairant le monde. Bartholdi reprend alors son projet initial et propose de le compléter par deux fontaines représentant La Garonne et ses affluents se précipitant vers l’Océan, prévues de part et d’autre de l’esplanade. Projet définitivement enterré un an plus tard. Merci M. le grand artiste, la municipalité vous accorde 3 500 F en dédommagement de vos efforts.

Bartholdi décide malgré tout de mener la réalisation du char triomphal de la Garonne à son terme. Présenté à l’Exposition universelle de 1889, il fait forte impression sur le maire de Lyon, qui souhaite l’acquérir. La Saône emportant ses affluents est inaugurée sur la place des Terreaux en septembre 1892.

Exit Bartholdi à Bordeaux ? L’achèvement de la Statue de la Liberté lui permettra de laisser une trace plus durable dans l’histoire artistique de Bordeaux.

Le colosse qui traversa l’Atlantique

La Statue de la Liberté est née de la volonté d’Édouard Laboulaye, juriste, académicien et professeur au Collège de France, d’offrir aux États-Unis d’Amérique un monument commémorant le centenaire de leur indépendance. En tant que président du comité français de l’Union franco-américaine, Laboulaye souhaite autant consolider les liens entre la France et les États-Unis que rendre hommage à la démocratie américaine.

Il en confie la réalisation à Bartholdi dès 1865, mais le projet reste en sommeil pendant plusieurs années : l’artiste se consacre à d’autres œuvres, dont le projet de phare pour le canal de Suez, finalement abandonné. La défaite de la France contre la Prusse à Sedan, en 1870, incite Laboulaye et Bartholdi, lui-même engagé dans l’armée de Garibaldi, à reprendre leur réflexion là où ils l’avaient laissée cinq ans plus tôt. À l’heure où le Second Empire s’effondre pour laisser place à la IIIe République, le dessein des deux hommes acquiert une dimension supplémentaire : glorifier les bienfaits de la toute nouvelle République française.

En juin 1871, un mois après l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine, Bartholdi embarque sur un transatlantique à destination de New York afin de nouer des relations utiles à l’avancement du projet. Il en revient surtout avec l’intuition que La Liberté se dressera sur Bedloe Island, un rocher entouré de fortifications dans la rade de New York. La construction de la statue dans les ateliers Gaget, Gauthier et Cie ne débute qu’en 1875 à Paris, soit une petite année avant le centenaire de l’indépendance des États-Unis…

Or le défi technique est colossal, à la mesure de l’ambition du monument. Après la disparition d’Eugène Viollet-le-Duc, l’architecte des ateliers, le jeune ingénieur Gustave Eiffel convainc Bartholdi d’opter pour une armature interne métallique. Un assemblage de pièces en fer, technique moderne, viendra soutenir les feuilles de cuivre repoussé constituant l’enveloppe de la statue. Les retards de financement compliquent encore l’affaire. Alors quelle stupéfaction chez les Parisiens découvrant pour la première fois, en 1884, la statue assemblée provisoirement dans la cour des ateliers de fabrication : avec ses 46 m de haut, elle surplombe tous les immeubles de la plaine Monceau !

Transportée de Paris à Rouen par chemin de fer, la statue embarque pour le Nouveau Monde le 21 mai 1885. Les quelque 200 caisses dans lesquelles sont réparties les plaques de cuivre et les éléments de la structure métallique sont accueillies le 19 juin par une foule enthousiaste.

De New York à Bordeaux, les tribulations de Miss Liberty

Mais Bartholdi déchante rapidement. Les travaux du piédestal, dont le coût est à la charge des Américains, ne sont pas encore terminés. Les caisses seront-elles jamais ouvertes ? Le piédestal est bel et bien achevé en avril 1886 grâce à la souscription nationale lancée dans les colonnes du journal de Joseph Pulitzer, le New York World. L’assemblage de la statue n’est plus qu’une question de semaines ; un gigantesque feu d’artifice clôt les festivités de son inauguration triomphale, le 28 octobre 1886.

Tournée vers l’Europe, Miss Liberty incarne les valeurs de la démocratie américaine, représentées par la Constitution du 4 juillet 1776 qu’elle tient dans sa main gauche et les chaînes brisées de l’esclavage gisant à ses pieds. En livrant une œuvre capable d’exprimer avec grandeur les idées des Lumières, Bartholdi a enfin accompli « le rêve de (s)on existence ».

En tant que symbole internationalement reconnu, la Statue de la Liberté a donné lieu à d’innombrables répliques ou copies plus modestes en France et dans le monde. Parmi elles, la « petite » Liberté de Bordeaux, située place Picard, a été à plusieurs reprises la victime des soubresauts de l’Histoire.

Là encore, tout commence par un projet de fontaine. En 1881, un conseiller municipal présente de la part des habitants de ladite place une pétition demandant le remplacement d’une borne fontaine malcommode par une fontaine monumentale. Toutefois la question semble totalement écartée des délibérations du conseil municipal pendant les cinq années suivantes.
Le dossier se débloque brusquement en mai 1886. Sollicité par un Bordelais pour réaliser une petite réplique de la Statue de la Liberté, Bartholdi répond qu’il serait heureux de donner suite à un tel projet. Le statuaire est alors à son apogée : La Liberté éclairant le monde s’élève peu à peu vers le ciel de New York. En outre, il a déjà conçu plusieurs fontaines pour sa ville natale de Colmar dans les années 1860.

Mais Bartholdi doit, une fois de plus, composer avec des Bordelais insatisfaits de sa maquette. En septembre 1886, il pousse la conscience professionnelle jusqu’à repérer lui-même le cadre dans lequel son œuvre devra s’intégrer, peu de temps avant son départ pour New York où s’organise l’inauguration de Miss Liberty. L’édification de la fontaine revue et corrigée a finalement lieu en 1887, l’inauguration par le président Sadi-Carnot en avril 1888.

La Liberté éclaire Bordeaux jusqu’en 1941 ; la réplique en bronze est alors fondue par les occupants nazis autant pour la récupération du métal que pour l’anéantissement du symbole. Ce n’est qu’en l’an 2000 qu’une modeste copie en résine est réinstallée place Picard sur un simple socle, à la demande des habitants du quartier. Et qu’elle en disparaît de nouveau quelques années plus tard pour restauration : elle avait été vandalisée en 2003, en signe de protestation contre l’intervention militaire américaine en Irak. Un acte regrettable qui a momentanément perverti la vision républicaine de Laboulaye et Bartholdi, tous deux membres de la loge maçonnique Alsace-Lorraine aux côtés de Jules Ferry.

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