Humeurs chroniques #4
Les « humeurs chroniques » du Bordographe : des articles à mi-chemin entre le billet d’humeur et la chronique des choses vues durant le mois écoulé. Au programme de ce numéro : comment écrire un article de blog sans souffrir, comment visiter une exposition sans souffrir, comment s’instruire sans souffrir.
La technique de la tomate
Solange te parle régulièrement sur les internets et souvent Solange te donne de bons conseils. La façon la plus sûre de décomplexer, un outil pour mieux organiser sa vie et qui la change (paraît-il)… De suggestion Youtube en lecture automatique de vidéos, je tombe sur un monologue au titre net, bien dégagé derrière les oreilles : Écrire tous les jours : ma méthode radicale.
A priori je n’étais pas la candidate idéale à la radicalisation ; même si j’aspire à maintenir autant que possible un rythme de deux articles par mois, l’écriture quotidienne ne revêt pas encore à mes yeux les vertus d’un rite immuable et sacré. Bien sûr, la pratique régulière présente des avantages incontestables : rapidité d’exécution accrue, concision augmentée, appétit ouvert à des sujets de plus en plus variés… Pourtant en ce qui concerne la tenue du Bordographe, malgré le plaisir que j’éprouve désormais à en rédiger les articles, l’écriture quotidienne n’est pas une condition sine qua non.
Cela dit, Solange m’a vraiment parlé en exposant son utilisation conjointe de plusieurs recettes jusqu’alors inconnues de moi, dont la technique Pomodoro. Il s’agit d’une méthode d’organisation du temps qui repose sur l’alternance d’une plage de travail (25 min) et d’une courte pause (5 min). La phase de travail, ou pomodoro (« tomate » en italien), tient son nom de la forme du minuteur utilisé par l’inventeur du procédé, Francesco Cirillo, à la fin des années 1980. En fonction des contraintes de votre journée, il est également souhaitable de prendre une pause un plus longue (environ 20 min) tous les quatre pomodori.
À première vue, cette méthode peut paraître tyrannique et les raisons pour ne pas l’appliquer nombreuses : « Je serais incapable d’une telle discipline ! », « Mais l’inspiration ne se commande pas ! », « On n’arrive à rien en prenant autant de pauses ! », etc. Eh bien, détrompez-vous, on arrive à quelque chose, puisque j’ai eu recours à la « technique de la tomate » pour écrire ces lignes (ainsi que les deux articles précédents). Et cela sans souffrir du syndrome de la page blanche, qui aurait rendu le pomodoro si délicieusement dramatique, ni d’aucune frustration engendrée par l’arrivée inéluctable de la pause.
Car, selon ma fraîche expérience, je n’en retire que des bénéfices, quel que soit l’état d’esprit dans lequel j’aborde la rédaction d’un article. Soit les Muses m’honorent de leur présence, et la pause permettra à mes petites cellules grises de prendre une respiration tout en continuant leur œuvre « en arrière-plan ». Soit les Muses sont allées aux fraises, et le manque d’entrain ne durera que le temps d’un pomodoro avant la récréation tant espérée.
En parlant de tomate, je vous mitonne justement un article aux petits oignons… Si vous avez déjà essayé un ou plusieurs des outils présentés par Solange, quels en ont été les bénéfices sur votre pratique de l’écriture ? Les commentaires vous sont ouverts.
Bordeaux, les femmes et le vin
Restons dans le domaine de l’art culinaire, puisque je vous emmène dans l’une de mes adresses gastronomiques préférées à Bordeaux : la Conserverie. Installée dans un ancien chai du quartier des Chartrons, entre le CAPC – musée d’art contemporain et l’église Saint-Louis, la Conserverie tient à la fois de l’épicerie fine, du restaurant et du café.
Une foule de produits confectionnés par des producteurs régionaux et européens y sont proposés, à consommer sur place ou à emporter : charcuteries ibérique et pyrénéenne *, terrine de porc noir de Bigorre *, thon de ligne du Pays basque, pesto, tapenade, fleur de sel, huile d’olive, vinaigre balsamique, puits d’amour de la maison Seguin *… [Note de la rédaction : les produits suivis d’un astérisque * ont été testés et approuvés.] Je ne saurai que trop vous recommander la conserve de joue de porc : absolument délicieuse accompagnée de quelques petites pommes de terre grenaille, juste saupoudrées de piment d’Espelette !
Un autre des points forts de l’enseigne réside dans sa cave, composée de vins, champagnes et spiritueux choisis pour le savoir-faire des petits producteurs qui en sont à l’origine. Particularité du rayon vin : la majeure partie des bouteilles sont le fruit du travail de viticultrices françaises. Une sélection complétée par des boissons parfois produites à Bordeaux même ; on y trouve notamment quelques références de la Manufacture de soda ou encore la bière La P’tite Martial, brassée à quelques encablures de la Conserverie.
Enfin, parce que les nourritures terrestres sont d’autant plus savoureuses qu’elles sont escortées par les nourritures spirituelles, la Conserverie met régulièrement à l’honneur le travail d’artistes et de créateurs sur ses murs de pierre apparente.
Jusqu’à la mi-juillet, je vous invite donc à découvrir l’exposition de dessins de Captain Zac intitulée Bordeaux, les femmes, le vin. Après une première présentation remarquée de vues dessinées de Bordeaux en octobre 2016, l’infatigable crayonneur bordelais nous revient avec une dizaine d’œuvres (réalisées en autant de jours !) isolant des détails de grands monuments publics bordelais. Les fontaines du monument aux Girondins, sur la place des Quinconces, tiennent une place de choix, à l’instar des groupes sculptés commémoratifs du Jardin public. Le tout dans une célébration de la ville de Bordeaux par le truchement de la vigne et du vin — un des thèmes de prédilection de Captain Zac, tant dans son œuvre dessiné que photographique.
Et les femmes dans tout cela, me direz-vous ? Figures mythologiques ou allégoriques, leurs courbes invariablement épanouies et dénudées furent une source d’inspiration récurrente de la « statuomanie » du XIXe siècle, qui fit fureur partout dans Bordeaux. Captain Zac, par-delà les siècles, ne fait pas exception, comme en attestent les dessins ci-dessus : la Viticulture reconnaissante du Jardin public (à gauche) et l’Abondance du monument aux Girondins (à droite).
Toutes ces œuvres sont disponibles à la vente. S’il est besoin de fournir une preuve supplémentaire de son talent, Captain Zac est l’auteur de mon portrait « façon Tardi » qui vous accueille sur le blog (en haut de la colonne de droite). Pour toute commande particulière, veuillez envoyer votre requête à l’adresse suivante : jackzacharie[at]hotmail.fr
La Conserverie – Converserie
18, rue Notre-Dame
33000 BordeauxOuvert du mardi au samedi à partir de 11h
Accès : tram B (station CAPC), tram C (station Jardin public)
Entrée libre
Idées de lecture pour l’été
Et pour terminer ce quatrième volet des humeurs chroniques, signalons deux références littéraires qui abordent des chapitres désormais méconnus de l’histoire de Bordeaux sous l’angle du roman : Le Banquier et le Perroquet, de Philippe Simiot, et Le Consul, de Salim Bachi (disponibles en livre de poche).
Philippe Simiot relate à la première personne du singulier le destin d’Étienne Girard, capitaine bordelais qui débarqua à Philadelphie le 4 juillet 1776 riche de son seul vaisseau. Jusqu’à sa mort en tant que citoyen américain en 1831, Étienne « Stephen » Girard bâtit l’une des fortunes les plus considérables du Nouveau Monde. Fondateur de la Girard Bank, directeur de la Seconde Banque des États-Unis d’Amérique, il légua quelque 7,5 millions de dollars aux œuvres caritatives de sa ville d’adoption, où il fonda le Girard College afin de scolariser les enfants orphelins.
L’ouvrage de Salim Bachi, quant à lui, revient sur l’engagement courageux d’Aristides de Sousa Mendes pendant la Seconde Guerre mondiale. Consul du Portugal à Bordeaux au moment de la débâcle française de 1940, il passa outre les directives de son gouvernement en délivrant sans distinction visa ou passeport à toute personne menacée qui souhaitait quitter la France. Les vies ainsi épargnées se comptent par milliers, dont une part non négligeable de juifs promis à une mort certaine dans les camps de concentration. Relevé de ses fonctions, il s’éteignit oublié de tous, pauvre, dans un hôpital de Lisbonne. Il fut déclaré « Juste parmi les nations » en 1966 — douze ans après sa disparition —, avant d’être réhabilité par la république portugaise vingt ans plus tard. Trop tard ?