Humeurs chroniques #1
Expositions, histoire des monuments incontournables de Bordeaux ou de son patrimoine méconnu : les sujets d’articles pour le Bordographe ne manquent pas. Mais il est des informations que je réserve à la page Facebook du blog ; soit qu’elles n’appellent pas d’explication supplémentaire, soit qu’elles aient un lien avec un article déjà publié.
Or tous les lecteurs du Bordographe ne disposent pas d’un compte sur le réseau social américain, aussi je souhaitais diversifier les publications du blog en vous proposant régulièrement des « humeurs chroniques » — à mi-chemin entre le billet d’humeur et la chronique des choses vues durant le mois écoulé.
Jeudi 5 janvier – Le gras de Gallica
À l’heure de la détox consécutive aux fêtes de fin d’année, les équipes de Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, ont mis en lumière sur les réseaux sociaux une carte gastronomique de la France dressée par l’« ex-chef de cuisine », A. Bourguignon (1929).
Les usagers de la bibliothèque numérique, baptisés les Gallicanautes, sont alors partis en quête de leurs spécialités favorites, issues de leur région natale ou de leur terre d’adoption, qu’ils ont partagées à leur tour grâce au hashtag #MaCarteParLeMenu.
L’occasion de mettre au jour des mets tombés en désuétude, comme l’inattendue « bouillabaisse au vin blanc » figurant parmi les spécialités… bordelaises. Ou encore de déplorer l’absence d’un petit gâteau moelleux parfumé au rhum et à la vanille en forme de cylindre strié, dont la recette fut perfectionnée par les religieuses du couvent de l’Annonciade, à Bordeaux, à la fin du XVIIe siècle.
Vendredi 13 janvier – Énième décapitation de Louis XVI
Devant les membres des Amis du musée des beaux-arts de Bordeaux, Alexandre Gady, professeur d’histoire de l’art à l’université Paris-Sorbonne, donnait une conférence sur la figure de Louis XVI dans l’art. Il l’a lui-même souligné dans l’introduction à son propos : le sujet s’inscrit parfaitement dans l’histoire de la ville, à double titre. D’une part, le conseil municipal conserva une majorité royaliste pendant la Restauration ; d’autre part, ce dernier se prononça en faveur de l’édification d’un monument en mémoire du roi-martyr sur la place des Quinconces.
Pièce maîtresse du projet, le colosse de bronze (5,83 m de hauteur !) représentant Louis XVI en pied le jour de son sacre, revêtu du grand manteau des cérémonies, fut coulé à Paris en 1829. La révolution de 1830 ayant entraîné la chute du roi Charles X, frère de Louis XVI, l’envoi de l’effigie à Bordeaux traînailla gentiment jusqu’à l’été 1869.
Mais une fois arrivé à bon port, que faire de ce manifeste légitimiste devenu anachronique avec le Second Empire et donc encombrant à tous points de vue ? La statue prit enfin place dans une arrière-salle du musée de Bordeaux en mars 1878, suscitant rumeurs et polémiques aussi bien dans le camp des républicains que dans celui des royalistes. Et le symbole avait un dernier rendez-vous avec l’Histoire, comme nous le révèle cet article publié sur le site des Amis du musée des beaux-arts de Bordeaux.
Dimanche 15 janvier – Mort au bordeluche !
Dont acte. Sans vouloir nier toute manifestation occasionnelle d’un régionalisme épidermique, dépréciation gratuite et généralisation hâtive sous couvert d’humour me hérissent.
Pléonasmes (« Au jour d’aujourd’hui »), anglicismes abusifs (« Je suis overbookée ! ») et autres expressions mièvres sont régulièrement épinglées par le fil de la langue française du Figaro — à juste titre. Mais cette rubrique a aussi le mérite d’élargir ses horizons aux mille et une nuances régionales du français, que l’on prenne parti pour la chocolatine ou pour le pain au chocolat. Et sans considérer que ces expressions sont « merdiques » au regard du français académique.
Ces variantes-là, à Bordeaux, forment le bordeluche, dont Guy Suire a publié le « dictionnaire définitif » (éditions Mollat, 2011) : « Ces mots à bérets et fonds de terroirs, ces mots icebergs de la grande parlure d’oc, débraillés, mal peignés, barbouillés de patois, débarquent encore sans être conviés comme des clandestins. » Est-il exact d’affirmer que leur usage a tendance à s’effilocher parmi les drolles et les drollesses ? Même le tenacement populaire gavé (beaucoup, très) n’est pas un mot d’origine bordelaise selon Guy Suire. Bon, j’ai besoin de me démouniquer en passant la gueille à gringonner pour calmer mes nerfs : je suis fumace !
Mardi 17 janvier – « Allô Bordeaux ? Ici Lausanne ! »
Après un passage dans l’émission matinale de France 3 Nouvelle-Aquitaine en janvier 2015, j’ai eu le plaisir d’être l’invitée d’une émission de radio pour la toute première fois. Enregistré dans les locaux de France Bleu Gironde, le numéro de Monumental consacré à Bordeaux sera diffusé dimanche 5 février à 13 h sur la radio suisse. Malgré la sympathie de mon interlocutrice helvétique, Johanne Dussez, j’ai pu constater à quel point il est difficile de mobiliser ses connaissances à l’occasion d’un exercice inédit, dans un temps qui paraît à la fois suffisant et bref — compte tenu des difficultés rencontrées ce jour-là pour maintenir la liaison en duplex.
Tous les linguistes qui écouteront la version définitive de l’émission s’accorderont au moins sur un point : les « Oui, effectivement » contenus dans mes réponses sont surreprésentés par rapport à leurs synonymes. Un jeu du « Ni oui ni non » à l’envers, en somme. Quant au reste de l’entretien, vous savez, je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation réponse…
Quoi qu’il en soit, presque rassurée par l’enthousiasme de Johanne à l’issue de notre conversation (« Vous devriez postuler à Radio France ! »), j’ai préféré laissé la parole à mon subconscient pour prendre congé du technicien qui supervisait l’enregistrement : « À bientôt ! »